mercredi 5 septembre 2018

L’humanité est trans


L’humanité est trans

Réponse d’un jeune techno-progressiste à un vieux bio-conservateur sur la question du transhumanisme

L’autre jour mon père m’appelle pour me parler d’une interview de Jacques Testart parue dans Libé. Ce biologiste a contribué à la naissance d’Amandine, premier bébé issu d’une fécondation in vitro en France. C’était en 1982, à peu près au moment de ma naissance. Aujourd’hui, il défend “une science contenue dans les limites de la dignité humaine”. Le scientifique critique ainsi radicalement le projet transhumaniste, et plus généralement selon moi, la société libérale dans laquelle nous vivons. Car au concept extrêmement vague et potentiellement arbitraire de dignité humaine, j’oppose tout simplement celui de liberté individuelle. Cette chère liberté que nous avons chevillée au corps et qui se retrouve et s’étend dans les différentes composantes de notre monde hypermoderne. C’est à dire une société fortement technoscientifique, clairement capitaliste, souvent individualiste mais, et c’est tout l’enjeu, profondément démocratique.

Les citations non référencées sont extraites de l’entrevue de Jacques Testart publiée dans Libération.

Technoscience sans conscience n’est que ruine de l’âme


Mon père a l’air convaincu par les arguments de Jacques Testart. Moi pas.
La technoscience - l’alliance de la science et de la technique - c’est le fer de lance de notre société. Et, oui c’est dangereux, mais ce n’est pas pour ça qu’il faudrait éteindre le feu prométhéen qui brûle en nous. Je ne pense pas qu’il y ait de la part de techno-milliardaires, de complot exterministe visant à nous transformer en consommateurs passifs,” « résignés-réclamants », robots immortels, sur une planète désolée” (1). Non, il s’agit tout simplement des “recherches qui, par la continuité et le progrès des sciences, nous mènent à cet état qu’on peut nommer transhumanisme”.  Il s’agit plus précisément d’améliorer la condition humaine grâce à la technologie. Selon Jaques Testart, cela ne serait ni souhaitable ni même possible, en tout cas pas avant longtemps : “les réalités du vivant, infiniment plus complexe que la machine, devraient résister à l'utopie de la santé permanente ou à celle d'une augmentation considérable de la durée de vie”. Pourtant, de nombreux spécialistes des biotechnologies considèrent que la vie n’est guère qu’une “nanomachine particulièrement sophistiquée” (2). Cette réalisation pourrait bien constituer une quatrième blessure narcissique pour l’humanité !

Tout n’est que bits, atomes, neurones et gènes (BANG) et c’est un véritable big bang qui va exploser quand nous pourrons dissocier et assembler ces éléments comme des briques de Lego. Une certaine lucidité matérialiste est à mon avis nécessaire afin de se préparer à cette révolution. Car mieux vaut voir la réalité en face plutôt que de rêver d’un paradis perdu rousseauiste où la nature et les êtres vivants vivraient en parfaite harmonie. J’exagère à peine : “La nature a créé des êtres qui, pour la plupart, sont parfaitement à leur place, et on a besoin de la place de chacun. La diversité n’est pas un vain mot, et sa disparition est très grave.” Puisque tout est parfait, il ne faudrait rien changer. C’est ce qu’on appelle être un bio-conservateur. Je pense au contraire que dans la nature tout change. C’est l’évolution. Et il y a des espèces qui disparaissent. Mais l’important c’est que les plus adaptés survivent et prospèrent. Et les plus adaptés c’est nous.

Jacques Testart souhaite “que les gens puissent vivre une bonne vie, en bonne santé, et que ça vaille le coup, qu’ils puissent être créatifs.” Mais comment voulez-vous avoir tout ça quand vous avez un QI de 60 ou une maladie génétique grave ? Les choses sont complexes et la frontière est floue entre restauration et augmentation. Nous ne pouvons être simplement réparés car il n’y a pas de fonctionnement normal, de génome normal comme il le concède lui-même. Pas de normalité mais une norme, une norme qui évolue dans le bon sens (eugénisme) ou  dans le mauvais sens (dysgénisme). Dans la nature, c’est la sélection naturelle qui s’occupe de faire le tri entre les bons et les mauvais numéros de la lotterie génétique. Mais nous vivons dans une société tellement développée, riche et inclusive qu’elle protège tout le monde. Et que les moins intelligents non seulement survivent mais transmettent leurs gênes de médiocre qualité à une descendance souvent nombreuse. Il faut donc mettre en place une technique simple et sans risque : la sélection des embryons. “C’est par la sélection que l’homme a obtenu des animaux et des plantes conformes à ses besoins.” Et ça tombe bien car nous avons des besoins. Besoin d’intelligence plus que de bras, de qualité plus que de quantité. Ceci afin de résoudre nos problèmes : surpopulation, pollution, changement climatique...

Ce n’est pas du solutionnisme ou du scientisme, c’est tout simplement comme cela que fonctionne le progrès. On invente quelque chose qui résoud un problème mais en créé un nouveau. Et ainsi de suite. Ce qui compte c’est que les problèmes soient de moins en moins graves et que les humains soient de plus en plus nombreux. C’est à ça qu’on mesure le succès d’une espèce. Et nombre de nos problèmes ne sont que le revers de la médaille de notre indéniable succès. Ainsi de deux choses l’une - et c’est le grand débat auquel il faut réfléchir d’urgence. Soit on essaye de parvenir à un équilibre terrestre fantasmé (certains écologistes radicaux voudraient d’ailleurs limiter la population terrestre à 1 milliards d’habitants). Soit on continue d’avancer et de se développer, quitte à envisager sérieusement de coloniser d’autres planètes. Et pour cela on aura besoin de beaucoup de technologie, mais aussi de beaucoup de moyens.


Le technocapitalisme est-il moral ?


Selon moi la fin justifie les moyens. Nous sommes une espèce exceptionnelle, ayant un destin hors du commun. Une espèce-ingénieur, de loin la plus intelligente de toutes. Il faut donc nous donner les moyens de nos ambitions. Le but de tout système économique est de produire de la richesse. Or comme nous l’a appris Antoine Lavoisier : “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”. On ne peut donc pas créer de la richesse sans qu’il y ait des conséquences, potentiellement néfastes pour l’environnement. Pour le dire autrement, quand on transforme des matières premières, cela induit généralement des effets secondaires. Même les êtres vivants produisent des déjections. Alors bien sûr dans la nature il y a un équilibre assez fantastique entre animaux et végétaux ; les déchets des uns étant l’apport des autres. Inspirons-nous de ce système afin de créer une économie circulaire produisant le moins possible d’externalités négatives (les fameux effets secondaires). Cela me paraît plus intelligent que de rejetter le système en bloc. C’est pourtant ce que fait Jacques Testart en accusant les partisans du “mythe du progrès” de vouloir “sortir des impasses du capitalisme par davantage de capitalisme” (3). Le progrès n’est pas un mythe et la science n’est pas une religion. Force est de constater que de véritables miracles scientifiques, techniques et économiques ont eu lieu, changeant la vie de millions de gens pour le meilleur (pour l’essentiel).

Une autre critique formulée par Jacques Testart à l’encontre du transhumanisme est que toutes ces technologies ne seront pas accessibles à tous. Et c’est vrai qu’au départ ça sera réservé à une élite. Non pas des privilégiés mais des pionniers, des aventuriers, des early adopters, des biohackers… Et ce sont eux qui vont essuyer les plâtres et montrer la voie. Mieux vaudrait donc féliciter leur courage plutôt que les critiquer. Hélas le drame de l’humanité c’est cette tendance persistante à se comparer. C’est d’ailleurs sûrement une raison du rejet de l’immortalité. En effet, ces critiques “ne peuvent pas tolérer un être humain immortel, car leur propre mortalité n’est acceptable que tant qu’elle est universelle” (4). Cette passion universaliste et égalitariste est très française. Alors plutôt que d’inventer des concepts ridicules et niais (humanisme régénéré d’Edgar Morin, hyperhumanisme de Joel De Rosnay…), peut-être ferions-nous mieux d’assumer une part de compétition à l’instar des pays anglo-saxons. Là encore, inspirons-nous de ce que fait la nature.

A travers la génétique, elle favorise la diversité donc les inégalités. Il y a bien sûr des risques pour toutes les espèces inadaptés ou victimes d’un changement brutal dans l’environnement. Mais il y a beaucoup de bénéfices à espérer pour les survivants. L’idée étant tout simplement de ne pas mettre tout ses oeufs dans le même panier. Prenons par exemple ce qui se passe en Guyane française ; au pied des fusées, des bidonvilles. Cette situation a de quoi choquer tout esprit bien-pensant. De plus, les inégalités ne sont pas seulement condamnable d’un point de vue moral mais potentiellement dangereuses. En effet, comme le rappelle la NASA (et Jean-Luc Mélenchon) : “la stratification économique entre riches et pauvres [a] toujours joué un rôle central dans le processus d’effondrement des civilisations” (5). Mais si l’on se place du point de vue de l’humanité et même du vivant tout entier, on peut alors voir tout l’intérêt de ces différences. Car qui d’autre que de riches humains, quelle animal autre qu’Homo Sapiens aurait le pouvoir d’envoyer des fusées dans l’espace et par la même de propulser le vivant hors de son berceau originel et ainsi continuer son aventure. S’il n’y avait que des classes et des espèces moyennes, cela n’aurait aucune chance d’advenir.

C’est le rapport risque-bénéfice qu’il faut prendre en considération. Et de nombreuses personnes sont prêtes à prendre des risques pour obtenir un plus grand bénéfice. Y compris sur leur propre corps. Car il leur appartient, et oui il est aujourd’hui source de profits mais aussi d’économies. Notre corps est ainsi de plus en plus vu comme un capital. En tout cas il n’est ni parfait ni sacré, et on devrait avoir le droit de le modifier. C’est en s’attaquant aux problèmes à la racine qu’on est le plus efficace. La racine étant génétique, cela représente un enjeu fondamental. En ce qui me concerne, je suis né avec une myopie, un frein de la langue trop long, de gros grains de beauté, une tâche de vin et même un petit renfoncement du thorax. J’ai pu corriger certains de ces problèmes après coup mais cela aurait été beaucoup plus siimple de les tuer dans l’oeuf. Mes géniteurs auraient pu s’en occuper, plutôt que de bêtement laisser faire la nature. Nous passons ainsi de la chance au choix. Si cette liberté de disposer de son corps n’est pas permise, les gens iront ailleurs. Comme ils ont pu le faire au XXe siècle pour échapper aux totalitarismes.

Car les peuples sont plus libres dans leur tête que les états et les lois qui les contraignent. Il faut bien sûr respecter un cadre législatif mais je pense qu’on aurait tout intérêt à désserer cet étau. La liberté attire les talents, les gens entreprenants et dynamiques. Notre Europe vieillissante et démographiquement déprimée a grand besoin de ce nouveau souffle. On peut bien sûr déplorer le fait que le comment ait remplacé le pourquoi, que les questions techniques aient pris le pas sur les questions philosophiques, que les ordres technico-scientifiques et juridico-politiques s’imposent face aux ordres moraux et éthiques. Mais on peut au contraire se réjouir de voir de très nombreuses personnes travailler non seulement sur leur corps mais aussi sur leur personnalité ou leur volonté. C’est justement ce qui déplait à certains idéalistes marxistes. “Le néolibéralisme nie les rapports de classes au bénéfice d’une approche individualiste qui renvoie les inégalités aux qualités supposées des personnes et à leurs mérites, et n’entend pas les traiter autrement que sur un mode individuel” (6).


L’individualisme est un (trans)humanisme


L’individualisme serait ainsi l’ennemi à combattre. L’ennemi intérieur alors, présent en chacun de nous. Rappelons que nous sommes avant tout des êtres biologiques, des êtres de besoin. Ces besoins, la société de consommation y répond de manière bien plus claire que les systèmes d’altruisme réciproque ou de don/contre-don. L’échange marchand peut même être dépersonnalisé, automatisé. On n’a ainsi plus besoin de connaître et reconnaître les personnes dont on a besoin. On n’a plus la crainte que l’interaction soit biaisée, que l’échange se fasse “à la tête du client”. C’est le système le plus démocratique car “l’argent n’a pas d’odeurs”. C’est aussi le système le moins stressant, me rappellant ce que disait mon père quand j’étais petit : “quand y’a d’la gêne, y’a pas d’plaisir”.

En effet, tout être vivant recherche le plaisir bien sûr, mais plus encore cherche à échapper à la souffrance. Et c’est justement le but du transhumanisme ! Eviter les 3 fléaux de l’humanité : la maladie, la vieillesse et la mort. Au principe de plaisir, il faudrait opposer le principe de réalité, permettant d’être un adulte responsable. C’est la meilleure critique que fait Jacques Testart : “le transhumanisme est une idéologie infantile”. Mais si “être un adulte, ça veut dire faire des choses que tu veux pas faire… tout le temps. Travailler quand t’es épuisé et ne presque jamais obtenir ce que tu veux” (7) alors on a du soucis à se faire car de plus en plus de gens vont faire défection. Et ce n’est pas avec des leçons de morale qu’on va les faire revenir dans le droit chemin. En tout cas ce n’est plus comme ça que ça fonctionne. Toutes les institutions et les structures qui permettaient un contrôle et une cohésion sociale sont en train de s’effondrer : le village (où tout le monde se surveille), le mariage (où chacun joue son rôle) ou même les classes sociales (où il faut “tenir son rang”). En france, 80% des gens vivent en ville. A mon sens c’est justement pour qu’on leur “foutte la paix”, pour être autonome.

Mais en réalité on est de plus en plus dépendants de la technologie. Avant on vivait au milieu d'êtres vivant. On vit aujourd'hui de plus en plus isolé, entouré d'objets et de technologie. Et on délègue de plus en plus de choses, car nous sommes feignants. Nous ne voulons pas faire des remarques à nos voisins ou concitoyens s’ils se comportent mal. C’est pourquoi le “qu’en dira-t-on” sera je pense remplacé par la vidéo-surveillance couplée à un système de note sociale, comme en Chine. La biophilie de Jacques Testart semble remplacée par une technophilie parfois mêlée de misanthropie chez nombre d'entre nous. Car l'Homme n'est pas un animal si social qu’on le dit. Une fois ses besoin de base satisfaits, il a surtout besoin de connexion, hors cette connexion se fait très bien et même mieux à distance. C’est tout l’intérêt des smartphones et bientôt des robots sociaux : nous offrir l’illusion de la compagnie sans les demandes de l’amitié (8) ou de l’amour. Cette tendance antisociale va à mon avis s’accentuer, n’en déplaise aux conservateurs. Le retour en arrière est impossible, nous avons déjà muté.


Un nouveau clivage


L’avenir a quand à lui toujours déchaîné les passions. En particulier deux émotions basiques chez l’être humain : la peur et l’espoir. En ce moment c’est l’inquiétude qui semble dominer les esprits, ou en tout cas le paysage médiatique. Et cette tendance délétère ne vient pas que d’Hollywood ou de Netflix, mais aussi de notre bon vieux PAF. “L'amertume vient toujours après l'espoir. Les plus profondes tristesses n'adviennent qu'aux idéalistes déçus” disait Cioran (9). Et ils sont nombreux ces idéalistes déçus, vieux soixante-huitards reconvertis en éditocrates, innondant les médias de leur verbe triste. Alors je propose qu’on donne un peu moins la parole à ces prophètes de malheur et un peu plus à des entrepreneurs, des rêveurs, des inventeurs. Qu’’on donne un peu moins la parole à ceux qui ont des problèmes et un peu plus à ceux qui ont des solutions.

Car les difficultés sont nombreuses, et notre monde moderne, extraordinairement complexe. L’angoisse que cela génère peut alors pousser les populations au repli sur soi. On serait alors tenté de préférer la fuite au combat, la recherche de confort à la quête de sens, et même la survie à la reproduction. L’abstention politique, le retrait de la sphère publique et même familiale pourrait aller encore plus loin. Au final on arrive à une situation où : “Le citoyen ne vit plus pour quelqu’un ou quelque chose, mais pour lui-même, avec, comme valeur primordiale, la protection de la vie et son corollaire : la santé du corps avant tout(10). Il ne sert à rien de critiquer cet état de fait car il s’agit d’un instinct, le plus puissant de tous : l’instinct de conservation. Et il est normal que cette demande légitime soit entendue à travers ce que Michel Foucault a nommé biopolitique.

Au-delà de ça, c’est à une véritable remise en question du cycle de la vie qui se profile à l’horizon. Dans la nature, tout va vite : il faut naître, atteindre la puberté, se reproduire et… mourir, afin de laisser la place à la génération suivante. Chez l’humain au contraire, on aime prendre le temps de l’observation et de la réflexion. Le cycle de la vie peut ainsi être vu comme un cercle vicieux. Une malédiction dont on subit tous les désagréments, des changements hormonaux à l’irréparable : la mort. Alors oui, on peut penser que les gens vont préférer être immortels plutôt que d’avoir des enfants. En effet, se reproduire c’est un peu la continuation de la survie par d’autres moyens. C’est précisémment ces différents moyens que j’encourage à explorer. Et ce n’est pas par altruisme que les gens font des enfants mais par instinct et par une forme d’égoïsme génétique. “Les gènes sont égoïstes, la société se veut altruiste. Les intérêts particuliers et ceux de la société s’opposent” (11).

Comme nous sommes des êtres à la fois biologiques et culturels, nous sommes tiraillés. Il nous faut absolument résoudre ce conflit entre nature et culture. On peut considérer que la société doit aller dans le sens de la nature, prolonger ses tendances. C’est le patriarcat et le darwinisme social. Mais il me semble que l’on veuille vivre dans une société plus conforme à nos valeurs humanistes. C’est alors la nature, plus précisément notre nature humaine qu’il faut changer. Ce n'est plus à nous de nous adapter à la nature mais à elle de s'adapter à nous. Ce qui est naturel n'est pas forcément normal. C’est toute la différence entre les bioconservateurs qui aiment la nature (humaine) et les technoprogressistes qui ont confiance en l’Homme.
Le clivage gauche-droite (politique) a déjà été supplanté par l’alternative libéral-protectionniste (économie). C’est désormais ce nouveaux dualisme technoprogressiste-bioconservateur qui montre actuellement toute son importance. Il faut absolument que chacun se situe sur cet échiquier politique en 3D. La guerre des idées a commencé. Les transhumanistes l’ont déjà gagné d’après Laurent Alexandre. Mais il faut convaincre avant de vaincre. Alors voici mon argument principal.

L’humanité est intrinsèquement trans. Ce préfixe indique l’idée de changement, de traversée. Toute l’histoire de l’humanité peut être vue comme cela. Nous avons traversé les siècles, dépassé nos limites géographiques, sommes allé au-delà de nos nous-mêmes. Bien sûr, cette grande aventure humaine est pleine de dangers, mais nous avons déjà accompli tellement. Nous sommes passés d’animal à Homme, de nomade à sédentaire, de la campagne à la ville. Nous avons franchi la barrière des océans et de l’espace, celle du genre et des races. Bientôt les frontières de l’espèce (chimères) et de la technologie (cyborgs) seront elles aussi abolies. L’évolution technologique prend le relais de l’évolution biologique. Loin d’être quelque chose de stable, de figé, l’humain est une fuite en avant, peut-être même un état transitoire, un chainon non-manquant entre animal et robot.

Ce qui est sûr c’est qu’on délègue de plus en plus de tâches à l’Etat et à la technologie. Cela nous libère du temps de cerveau disponible. Utilisons ces ressources mentales pour faire de la politique. On se repose de plus en plus sur le système et on le critique. Et c’est très bien. C’est même la seule chose qu’il ne faut pas déléguer : faire des choix de manière démocratique. En un mot : voter. Alors en attendant qu’il y ait un parti transhumaniste en France, récapitulons. La technoscience n’a pas toujours de conscience, le capitalisme n’est pas moral et les gens sont individualistes. Ok il y a de quoi désespérer mais pas si on comprend que ces systèmes sont faits par des gens. Des gens normaux avec leurs qualités et leurs défauts. Je suis assez optimiste et je vois beaucoup de qualités chez Homo Sapiens (l’homme intelligent) : la curiosité, l’ingéniosité, la créativité, l’ambition. Mais aussi des défauts : la démesure, le manque de prudence et de sagesse… Le réchauffement climatique par exemple. C’est un problème qui dépasse le commun des mortels. Nous sommes bien trop limités et égoistes pour pouvoir réellement résoudre un défi aussi complexe et global.

Grâce à l’intelligence artificielle et à la technoscience en général, nous pourrions devenir plus intelligents, plus altruistes, plus civilisés. Jaques Testart résume très bien cela : “la volonté de la science, c’est de maîtriser. De maîtriser la nature, bien sûr, mais aussi de maîtriser l’humain. Et maîtriser l’humain, c’est le but des transhumanistes.” Quoi de plus normal que de vouloir maîtriser notre destin ? Il est entre nos mains, à condition de ne pas avoir les mains qui tremblent. Car pour changer le monde, il faut d’abord nous changer nous-même.



Tom Otium









1 : JACQUES ATTALI, Devenir Soi, Fayard, 2014


2 : LAURENT ALEXANDRE, La Mort De La Mort, JC Lattès, 2011


3 : FRANCOIS BRUNE, De L'ideologie Aujourd'hui, Editions de Beaugies, 2016


4 : ISAAC ASIMOV, L'homme bicentenaire, Gallimard, 2011

5 : JEAN-LUC MÉLENCHON, L'ère du peuple, Fayard, 2014

6 : MICHEL PINÇON ET MONIQUE PINÇON-CHARLOT, Le président des riches, La Découverte, 2011

7 : The Americans, saison 2 épisode 9 : “Martial Eagle”

8 : SHERRY TURKLE, Alone Together: Why We Expect More From Technology and Less From Each Other, Basic Books, 2012

9 : CIORAN, De l'inconvénient d'être né, Gallimard, 1973

10 : BÉATRICE JOUSSET-COUTURIER, Le transhumanisme, Eyrolles, 2016

11 : LAURENT OBERTONE, La France Orange mécanique, Ring, 2013



jeudi 23 août 2018

Petit manifeste transhumaniste



Q’est-ce que c’est le transhumanisme ? Il s'agit de l’amélioration de l’espèce humaine par la science et la technologie. Mais ça n’est pas qu’un ensemble de techniques, c’est avant tout une philosophie qui a besoin d’être débattue. Selon Nick Bostrom, le transhumanisme, c’est l’humanisme des Lumières plus les technologies. C’est d’ailleurs probablement avec Descartes que tout commence, avec sa célèbre phrase nous invitant à nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Pour Kant, il faut avoir l’audace de penser par soi-même et de passer au crible de la raison ce que l’Église ou l’État par ex nous présentent comme irréfutable. C’est ce qu’on appelle la modernité de la raison. Aujourd’hui, cette tendance s’est accentuée pour certains d’entre nous ; on est entré dans une hypermodernité, on est devenus hyperationnels. On voit ainsi de plus en plus le corps comme un objet et la santé comme un capital. Car le dualisme cartésien a évolué : l’esprit est désormais plus fort que le corps. Ce dernier doit se plier à la volonté de l’esprit, être augmenté ou disparaître.




Alors je sais, ça peut faire peur, mais pour moi il s’agit d’une évolution logique : celle d’une complexité croissante. Dans ce processus, Homo sapiens serait le chaînon non-manquant entre animaux et robots, entre biologie et technologie. C’est une nouvelle barrière qui va tomber après celles entre le monde céleste et la Terre ou encore celle entre l’homme et l’animal. Car on a toujours voulu s’extraire du monde naturel, le mettre à distance tout en s’entourant de plus en plus d’artefacts artificiels. Ces outils nous aident dans notre combat contre la nature. Laurent Alexandre parle de véritable coup d’État de l’Homme sur le vivant. On se sentait tout petit face à des Dieux omnipotents, on se sent aujourd'hui tout puissant face à une nature maîtrisée et même modifiée. Car ce qui est naturel n'est pas forcément normal. La nature ne fait pas toujours bien les choses, il faut souvent corriger ses erreurs.




Je vais aller plus loin, beaucoup plus loin. Cette salope de mère nature ne cherche pas notre bonheur ou notre épanouissement, elle cherche simplement à ce qu’on survive et se reproduise. Dans ses bras, nous sommes comme des marionnettes dont les fils sont des brins d’ADN. Nous ne sommes pas maîtres de notre destin car nous n'avons pas écrit notre code génétique. L’évolution et la reproduction sexuée sont des systèmes qu’on subit. Alors il est grand temps de choisir, c’est le sens de l’histoire, de notre histoire, celle des enfants prodiges et rebelles de Dieu le père et de mère nature. Après une enfance faite de peurs et de superstitions, nous avons tué Dieu le père. Il faut désormais nous occuper sérieusement de mère nature. L’humanité ayant atteint l’âge de raison, il faut maintenant faire notre crise d’adolescence et prendre notre destin en main, enfin.

mardi 21 août 2018

Critique - Dominique Picard - Politesse, savoir-vivre et relations sociales




Voilà un petit bouquin (128 pages) dense et étonnant. Et plus on avance dans sa lecture, plus ça devient intéressant. Le dernier chapitre parle de l’évolution de la politesse. Alors avec toutes les incivilités qu’on subit au quotidien j’aurais aimé que l’auteur balance beaucoup plus. J’ai été très déçu à ce niveau là. Qu’importe, je ferais vais continuer mes recherches et écrire un article sur ce sujet qui mérite un ouvrage à part entière. Passons, le chapitre précédant est le meilleur, il pose tous les principes fondamentaux. Il y a aussi 2 chapitres sur toutes les règles du savoir-vivre. Et c’est là que ça fait bizarre. Ces règles sont souvent hyper précises et plus vraiment utilisées ou alors uniquement dans certains milieux. J’ai souvent eu l’impression d’un voyage dans le temps à une époque lointaine où la sociabilité avait une importance primordiale et où on prenait le temps de satisfaire à toutes ses obligations. A l’heure d’internet et des réseaux sociaux évidemment tout a changé. Cette révolution technologique et sociale n’est pas abordée du tout dans ce livre qui aurait donc bien besoin d’une mise à jour. Le premier chapitre est un historique assez fascinant qui nous transporte dans un passé révolu où les gens, enfin les classes supérieures, accordaient une attention extrême au moindre geste, mot, vêtement et manière de le porter. Il semble que notre postmodernité ait balayé tout cela dans une sorte d’inversion des valeurs assez frappante.

Complications dans les salutations : refus de serrer la main









De nombreux cas de musulmans ayant refusé une poignée de main ont récemment défrayé la chronique. Cela peut sembler paradoxal mais c’était peut-être le but recherché inconsciemment : attirer l’attention publique sur le malaise qu’éprouvent certaines minorités qui cherchent de manière contradictoire à la fois une valorisation sociale et un refuge dans la religion. Ce repli religieux est tout a fait possible dans la sphère privée où l’on peut vivre sa foi comme on l’entend. Mais dans l’espace publique, nous sommes censés nous plier aux us et coutumes du lieu : A Rome fait comme les romains.




Le problème c’est qu’il n’est pas vraiment illégal de refuser une poignée de main. Il s’agit tout simplement de savoir-vivre. Savoir-vivre dont un des principes majeurs est l’adaptabilité. On serait donc tenté de penser que c’est cette qualité qui fait défaut à certaines personnes. On imagine par exemple facilement un jeune homme musulman, grossier, frustré et zélé refusant de saluer une femme dans le contexte de son travail à la RATP.




L’histoire de Farah Alhajeh, une jeune suédoise de 24 ans, montre que les choses sont plus compliquées. Lors d’un entretien d’embauche, cette femme voilée a refusé de serrer la main de son employeur. Ce dernier a alors mis fin à la rencontre. Il s’est retrouvé face à la justice pour discrimination et a perdu son procès. Ne soyons donc pas naïfs, la politesse est censée adoucir les moeurs mais quand on en manque en le faisant exprès, on peut penser qu’il s’agir d’un dessein politique visant à ébranler le fragile équilibre des sociétés européennes.




Tous les jours nous devons saluer des gens, toutes sortes de gens avec des psychologies et des cultures différentes. L’idéal serait une salutation universelle de base comme un signe de la tête accompagnant le regard et pourquoi pas un sourire pour les moins timides. Et plus si affinités, bien sûr ! De nombreuses pratiques regionales devraient logiquement disparaître, comme la bise française. D’autres comme le salut musulman, qui consiste à mettre sa main sur le coeur, pourrait bénéficier d’une régénération. Tout dépend du poids relatif, notamment démographique, des différentes cultures. En somme, à chacun son salut, et que la guerre des bonjours commence. Courbette japonaise, bisou esquimaux, salut vulcain, high five américain ou encore fist bump (mon préféré, pour des raison d’hygiène) entrent ainsi en compétition dans l’arène mondiale. Moi qui pensait qu’avec la fin de l’Histoire, la poignée de main occidentale allait s’imposer…




Pour mettre fin à ce grand désordre multiculturaliste, nous avons besoin que les mêmes rituels (du latin ritus, ordre prescrit) soient connus et appliqués par tous. Cela afin d’atteindre une certaine harmonie sociale, objectif du savoir-vivre. Le problème c’est que tous ces gestes sont hautement symboliques, certains évoquent la paix (le salam musulman) voire la soumission ou au contraire un côté très avenant du côté de l’occident. C’est justement ce que certains nous reprochent : abuser de notre position de force, faire preuve d’”excès de pouvoir”. A la limite je peux comprendre qu’un regard pénétrant, une poignée de main ferme ou encore une démarche assurée puissent mettre mal à l’aise les plus effacés d’entre nous. Mais vouloir se dérober à ses obligations sociales, en utilisant le prétexte de la religion, cela me paraît être une assez mauvaise idée. Dans la tête de certains c’est aussi sans doute une façon de dire, vous m’avez exclu, et bien je vous exclus. Finalement je suis peut être le dernier dans votre société, mais vis-à-vis de Dieu je suis le premier, donc de marquer une supériorité dans le champ du religieux. Cette distinction sociale par la négative, véritable stratégie du looser est totalement contreproductive et inefficace.




La politesse est un art subtil. Comme le rappelle Dominique Picard dans son Que sais-je sur le sujet : Les codes du savoir-vivre supposent que l’on concilie des aspects contradictoires : respecter les distances et faciliter les contacts ; marquer la hiérarchie sociale et présenter une image positive de soi. En somme, respecter le territoire et la face de chacun. Et tout d’abord le territoire de ceux qui n’ont que leur fierté et leur religion pour opium. Et quand bien même ces territoires nous paraissent perdus, il nous faut les reconquérir. Mais pas par la force, plutôt en montrant que nous pouvons nous aussi nous adapter et intégrer les différences. Nous pourrions ainsi évoluer vers des pratiques salutatoires moins agressives. Ce point de vue peut paraître excessif mais il faut rappeller que la main est le symbole du pouvoir. Or c’est l’occident qui a la main. A nous donc de montrer la voie, celle de la conciliation, afin que plus personne ne perde la face.