La question de la technique est une
notion philosophique fondamentale. La technologie change tout et
peut-être que certains sous-estiment sa puissance disruptive. Il
faut dire que c'est compliqué, c'est très technique justement les
ordinateurs et tout ça. Et puis la philo de Stiegler est plutôt de
haut niveau alors accrochez-vous car le monsieur n'est pas facile à
suivre. Il fait des phrases longues bourrées de digressions et de
notions compliquées mais fascinantes. En voici un petit
échantillon à titre d'exemple : populisme industriel,
pharmakon, capacitation, gouvernementalité algorithmique et pour
finir le grand projet du penseur : la neganthropologie !
Tout un programme. Heureusement on peut essayer d'y voir plus clair
en organisant certaines notions en dualismes tels que :
emploi/travail, jetable/durable, économie des pulsions / économie
contributive, pouvoir d'achat / savoir d'achat... D'autres termes ont
aussi leur antonyme comme (dé)prolétariser, (dés)automatiser,
(neg)entropie ou (dés)individuation.
Heureusement le livre est court (116
pages) et le titre en résume bien la thèse. La distinction entre
emploi et travail est simple : l'emploi c'est le travail
rémunéré. Mais Stiegler va beaucoup plus loin avec une définition
très critique de l'emploi qui appauvri et décervelle car répétitif
et monotone. A contrario, le travail dont Stiegler fait ici l'éloge,
c'est le travail intellectuel ou artistique, qui permet de se
réaliser et de contribuer à la société. L'auteur propose ainsi un
revenu de contribution pour ceux qui écrivent des pages wikipédia
ou programment des logiciels libres par exemple (à condition qu'ils
« fassent leurs heures » à l'instar des intermittents du
spectacle). C'est bien beau pour les bobos-intellos qui veulent
changer le monde mais je ne pense pas que ça puisse véritablement
se généraliser. Beaucoup de gens auront sûrement du mal à sortir
de leurs pulsions consuméristes et resteront probablement devant
télévision, jeux vidéos et autres loisirs plus ou moins
abrutissants. Ils y trouveront néanmoins un cadre, une répétition
ou encore une hiérarchie qu'il est facile de critiquer mais qui
semble être une nécessité psychologique pour de nombreuses
personnes. Ces gens se contenteront donc du revenu d'existence
car ils n'auront pas forcément les capacités ou l'envie de « faire
quelque chose de leur vie ». C'est donc une société à deux
vitesses qui se profile à l'horizon, une société clivée avec d'un
côté ceux qui contribuent utilement et de l'autre ceux qui ne font
que consommer.