mardi 15 novembre 2016

Critique : Bernard Stiegler - L'emploi est mort, vive le travail ! (2015)

http://www.babelio.com/livres/Stiegler-Lemploi-est-mort-vive-le-travail-/722008



La question de la technique est une notion philosophique fondamentale. La technologie change tout et peut-être que certains sous-estiment sa puissance disruptive. Il faut dire que c'est compliqué, c'est très technique justement les ordinateurs et tout ça. Et puis la philo de Stiegler est plutôt de haut niveau alors accrochez-vous car le monsieur n'est pas facile à suivre. Il fait des phrases longues bourrées de digressions et de notions compliquées mais fascinantes. En voici un petit échantillon à titre d'exemple : populisme industriel, pharmakon, capacitation, gouvernementalité algorithmique et pour finir le grand projet du penseur : la neganthropologie ! Tout un programme. Heureusement on peut essayer d'y voir plus clair en organisant certaines notions en dualismes tels que : emploi/travail, jetable/durable, économie des pulsions / économie contributive, pouvoir d'achat / savoir d'achat... D'autres termes ont aussi leur antonyme comme (dé)prolétariser, (dés)automatiser, (neg)entropie ou (dés)individuation.

Heureusement le livre est court (116 pages) et le titre en résume bien la thèse. La distinction entre emploi et travail est simple : l'emploi c'est le travail rémunéré. Mais Stiegler va beaucoup plus loin avec une définition très critique de l'emploi qui appauvri et décervelle car répétitif et monotone. A contrario, le travail dont Stiegler fait ici l'éloge, c'est le travail intellectuel ou artistique, qui permet de se réaliser et de contribuer à la société. L'auteur propose ainsi un revenu de contribution pour ceux qui écrivent des pages wikipédia ou programment des logiciels libres par exemple (à condition qu'ils « fassent leurs heures » à l'instar des intermittents du spectacle). C'est bien beau pour les bobos-intellos qui veulent changer le monde mais je ne pense pas que ça puisse véritablement se généraliser. Beaucoup de gens auront sûrement du mal à sortir de leurs pulsions consuméristes et resteront probablement devant télévision, jeux vidéos et autres loisirs plus ou moins abrutissants. Ils y trouveront néanmoins un cadre, une répétition ou encore une hiérarchie qu'il est facile de critiquer mais qui semble être une nécessité psychologique pour de nombreuses personnes. Ces gens se contenteront donc du revenu d'existence car ils n'auront pas forcément les capacités ou l'envie de « faire quelque chose de leur vie ». C'est donc une société à deux vitesses qui se profile à l'horizon, une société clivée avec d'un côté ceux qui contribuent utilement et de l'autre ceux qui ne font que consommer.

mardi 8 novembre 2016

Critique : Régis Debray - Eloge des frontières (2010)

http://www.babelio.com/livres/Debray-Eloge-des-frontieres/223508


J'aime bien les éloges, celui-ci est un pamphlet court (une centaine de pages) et surtout hyper stylisé. Régis Debray maîtrise tellement la langue (pas seulement française) qu'il joue avec les mots : leurs étymologies, leurs sonorités, leurs sens. L'auteur a énormément de culture mais au lieu de l'étaler, il la concentre. Le texte est donc dense mais dans le bon sens du terme. C'est comme un plat de grand chef : peu de quantité mais beaucoup de créativité. Alors souvent on est un peu paumé et on a du mal à suivre. Régis n'est pas un con, bien au contraire. On dit des gens qui parlent vite qu'ils sont intelligents. On pourrait dire de Régis Debray qu'il écrit vite, et avec quelle maestria ! Son essai est cependant peu structuré et surtout inégal. Je n'ai pas compris grand chose au 4e chapitre, le 5e et dernier est par contre est excellent. Il résume bien la pensée de l'auteur. Celle-ci suit souvent un rythme binaire fait de couples d'opposition interdépendants tels le yin/yang. Séparés à l'écrit par un slash, une frontière, mais qui en fait permet des échanges car il y a évidemment du yin dans le yang et inversement.

Ce livre est donc un éloge des frontières mais aussi du sacré, des protections et limites. Ça peut paraître un peu réac et ça l'est ! C'est une réaction saine, épidermique (il est beaucoup question de la peau) contre une injonction à toujours plus d'ouverture. Il s'agit également d'une critique érudite du sans-frontiérisme, du libre-échangisme, du mondialisme, de l'accélération du temps et de l'uniformisation de la culture. Vraiment un livre à lire donc pour comprendre cette réaction au libéralisme dont beaucoup souhaitent aujourd'hui se libérer. Grâce aux fondements biologiques et psychologiques, qui auraient gagnés à être plus développés, on saisit ainsi mieux la retour du nationalisme et la demande de protectionnisme. Reste à trouver le juste milieu entre ouverture et fermeture. C'est à ça que servent les frontières.

dimanche 6 novembre 2016

Débat entre NKM et Eric Sadin sur la "siliconisation du monde"



11:18 : Excellent débat sur la "silicolonisation du monde". Je pense qu'il
faut essayer de distinguer production et consommation. En matière de
production je suis pour l'automatisation, surtout en ce qui concerne les
tâches répétitives et monotones. Il faut en effet absolumment éviter ce
drame des "robots de chair" dont parle Eric Sadin...
En matière de consommation il faut quand même protéger le consommateur
en lui laissant le choix d'utiliser ou non cookies, adblockers et autres
publicités ciblées. Nos informations nous appartiennent ! Il faut
protéger la vie privée tout en permettant à ceux qui le souhaitent
d'échanger leurs données contre des services ou réductions tarifaires.
A ce propos, méditons les propos de l'historien Yuval Harari qui parle
de nos datas comme de l'or du 21e siècle et que l'on échange contre des
vidéos de lolcats... Il fait la comparaison avec les indiens de
Manna-hata (devenu Manhattan) ayant vendu cette terre riche et fertile
contre quelques perles colorées... Ne faisons pas la même erreur, sinon
nous risquons de finir dans des réserves ou notre seule fonction sera
celle de consommateur.

mercredi 2 novembre 2016

Critique : Jean-Luc Mélenchon - L'ère du peuple (2014)



http://www.babelio.com/livres/Melenchon-LEre-du-peuple/651552


Tous les candidats à la présidentielle devraient faire ça : écrire un livre court (144 pages) et pas cher (3€) qui présente les grandes lignes de leur pensée politique. Grâce à un chapitrage thématique, jean-luc mélenchon montre clairement les grands bouleversements que connaît actuellement notre monde. Dans l'ordre : explosion démographique, changement climatique, fin de l'hégémonie américaine, accélération du temps, urbanisation croissante et révolution citoyenne. Avec en introduction un pamphlet anti-hollande et en conclusion une synthèse ainsi qu'une présentation succincte de l'écosocialisme. Les sujets s'enchaînent donc habilement et logiquement, on apprend des choses, comme par exemple que les quantités de poissons produits par l’aquaculture égalent désormais les quantités de poissons pêchés. Il est question de la mer qui semble être la grande idée de Mélenchon. On trouve aussi d'autres idées intéressantes comme la proposition chinoise d'une monnaie mondiale ou le droit de vote par action modulé en fonction de la durée de l'investissement. Le style est vif, percutant, quitte à prendre des libertés avec la syntaxe ou à tomber dans un lyrisme marxiste parfois inaccessible. Visez un peu : « La mutation de la multitude se faisant peuple s’opère à partir de ressorts concrets qui travaillent la pâte humaine de l’intérieur. ».

Passons, et revenons plutôt à la vision de l'auteur. Quel est donc son projet ? Il s'agit clairement d'un projet radical et même révolutionnaire visant à renverser l'ordre établi qu'il nomme globalitaire (global+totalitaire). Tout est remis en cause : capitalisme et productivisme, systèmes financiers et productifs, ordres institutionnels et juridiques, propriété et même une humanité « envoutée » par la publicité... Très fort donc pour pointer les problèmes, excès et absurdités du village global libéral, mais peu convaincant quand il s'agit de proposer des solutions concrètes. Si l'inscription de la règle verte dans la constitution semble être une bonne idée, on voit mal comment on pourrait décréter la solidarité et la coopération chez tout un chacun. A la décharge de « méluche », il n'essaie pas vraiment d'argumenter sur la faisabilité de son programme... pas le temps, son livre est déjà fini. Je ne crois pas que j'en lirai d'autres mais j'écouterai volontiers sa chaîne youtube par curiosité intellectuelle et parce que ça fait du bien de rêver à un monde meilleur.