jeudi 27 mai 2021

Critique de L'idolâtrie de la vie d'Olivier Rey

Olivier Rey, L'idolâtrie de la vie, Gallimard, coll. « Tracts », juin 2020, 64p, 3.49€


Ce qu'il y a de bien avec Olivier Rey c'est qu'il assume clairement être conservateur et réactionnaire1. En lisant le premier chapitre («Quand il y avait des famines») j'ai eu l'impression qu'il était également malthusien. Il faut dire qu'il y avait par le passé un certain équilibre. Cet équilibre a été rompu par la révolution industrielle. C'est la civilisation technologique qui a alors émergé qui est critiquée par l'auteur. La devise de cette civilisation, la nôtre, pourrait être Toujours plus !. En démocratie, ces moyens supplémentaires mais jamais suffisants sont sans cesse réclamés par les citoyens, souvent en colère ; peuple enfant-roi qui réclame son argent-doudou à son état-nounou. Ce qui est demandé à corps et à cris c'est davantage de standardisation, de technologisation, de médicalisation. On assiste à un véritable excès de zèle - vital, moral ou médical, on ne fait plus bien la différence. Je vais me faire l'avocat du diable : à la limite quel est le problème si on a les moyens de cette "extension sans limite", de cette chère surenchère ? «Les riches paieront» (titre du cinquième chapitre) ! Et bien le problème c'est justement qu'il y a une limite* : "les plus graves dangers auxquels l’humanité dans son ensemble est exposée au XXIe siècle ne tiennent pas à une insuffisance de moyens d’action mais, au contraire, à des actions trop importantes en regard de ce que la nature est en mesure de supporter." Mais attention, Olivier Rey ne se contente pas de condamner la modernité. Il prône le retour à une vie plus simple où "il nous faudrait réapprendre, collectivement et individuellement, à compter sur nous-mêmes". Et donc à arrêter de tout attendre de l'état. Ce n'est pas un éloge du repli sur soi ou du small is beautiful mais du bien proportionné, du à taille humaine. Cette sagesse de la modération est un travail très philosophique, même si pour atteindre cet objectif, l'auteur est parfois excessif. Peut-être est-ce en explorant les extrêmes qu'on peut espérer trouver un juste milieu.


Si certains propos peuvent sembler exagérés ou hors de propos, d'autres sont plus pertinents. Ainsi l'argument de la santé est en train de devenir un argument-massue. Ce discours du c'est pour votre bien "tout le monde n’[y] adhère pas forcément, mais tout le monde est sommé de se taire, sous peine de passer pour un monstre qui veut la souffrance des malades et leur mort". Et bien l'intellectuel ne la ferme pas, au contraire il ouvre le débat et appuie là où ça fait mal : sur nos lâchetés, nos impensés, nos pensées économiques magiques comme le fameux quoi qu'il en coûte. La mort est devenue un tabou. La santé le bien final, souverain et suprême. Ma vie est devenue mon précieux, cette chose intime que tout un chacun doit conserver égoïstement. Et surtout pas sacrifier à qui ou à quoi que ce soit. Alors forcément l'argument de la santé écrase tous les autres : l'économie, la liberté, l'art de vivre. Le soin est un humanisme, il pourrait devenir un totalitarisme. D'où la prédiction suivante : "Au nom de la protection contre la mort on pourra tout accepter"2. L'acceptation, voilà encore concept qui a retenu mon attention. Au lieu d'accepter les limites naturelles, nous acceptons aliénation, soumission et sujétion au grand Léviathan nous promettant toujours plus de vie. Le contrat  vital remplace le contrat social3. Mais il s'agit de vie nue (ou nulle), pas de la vie bonnne chère aux philosophes. Le danger de cette idolâtrie de la vie nue c'est la dépendance au système (de santé). C'est aussi de perdre notre âme et qu'il ne reste que le corps, perdre notre savoir-vivre et qu'il ne reste que le pouvoir-vivre. Nous sommes passés d'un monde où il était difficile de vivre à un monde où il est difficile de mourir, un monde où les gens veulent durer mais pas endurer et où certains transhumanistes voudraient résoudre la mort4, plutôt que se résoudre à la mort.


Tom Otium