dimanche 18 juillet 2021

Tous seuls ensembles

François Saltiel, La société du sans contact; Selfie d'un monde en chute, Flammarion, Jul 2020


Tout un concept ce titre. La société du sans-contact c'est « une société où les humains ont tendance à moins se regarder, se toucher et s'embrasser ». C'est quelque chose qui va sûrement s'accentuer dans les années à venir. J'aurais aimé que cette vision soit davantage développée. En fait il s'agit surtout ici du point commun entre les différentes évolutions abordées. Le confinement sert aussi de fil rouge à cet essai. Il faut dire que le numérique change complètement nos manières de sociabiliser, de travailler, d'aimer, mais aussi notre rapport à la mort, à l'ordre et à l'État. Un changement pour le pire ? 

C'est ce que laisse présager le sous-titre. Dans cet ouvrage technocritique et pessimiste, François Saltiel pointe habilement les nombreuses menaces sur notre vie privée. Il prend aussi la défense des petites mains qui se serrent les coudes en luttant contre les gros cerveaux qui font de gros profits en profitant de nos petites faiblesses. Le présage est donc mauvais et le techlash mérité. 

Pourtant le ton est souvent léger, familier. Les sous-chapitres sont courts, comme les chroniques qu'il présente à l'émission 28 minutes. Il y a bien sûr quelques répétitions, imprécisions et autres raccourcis. Mais je crois qu'il faut reconnaître au journaliste un grand sens des tendances, une solide culture (nombreuses références à la culture populaire), ainsi qu'un humour bienvenu. Il s'agit donc d'un texte qui se lit avec plaisir, facilement et rapidement. Parfait pour une première approche du sujet. Pour les plus âgés ou cultivés, je recommanderais plutôt le livre du patron de Saltiel à Arte, Bruno Patino (La civilisation du poisson rouge: Petit traité sur le marché de l'attention, Grasset, 2019).


Comme moi, François Saltiel a grandi dans les années 80 avec des valeurs post-soixante-huitardes. Les utopies libertaires ont semble-t-il mal tourné, se transformant en surveillance généralisée et dystopique à la Black Mirror. Que s'est-il passé ? Une révolution, celle du numérique. Un changement de paradigme qui fait des heureux et des malheureux, des gagnants et des perdants. D'un côté, des « nomades virtuels » [1], usagers usés et désenchantés, parfois esseulés, dans le déni voire la folie, l'illusion et même l'addiction, cherchant confort et réconfort dans le techno-cocon de leurs conforteresses [2]. De l'autre, les winners de la Silicon Valley. Des tech moguls qui, au lieu de sauver la planète, voudraient se sauver de la planète. Ils rêvent de voyage spatial alors que les hippies aspiraient au retour à la terre. Aujourd'hui ce que propose l'auteur, c'est le retour à la vie réelle, à l'IRL, dans l'espoir de conjurer l'escapism dans l'irréel. Espoir vain et combat d'arrière-garde à mon avis. Car le vœu pieux du retour en arrière n'empêchera pas la fuite en avant.



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Notes : 

[1] Jacques Attali, Une brève histoire de l'avenir, Fayard, 2015

[2] néologismes d'Alain Damasio


lundi 5 juillet 2021

Critique : Vincent Cocquebert, La Civilisation du cocon; Pour en finir avec la tentation du repli sur soi, Arkhê éditions, 2021

 La première chose qui m'a frappé quand j'ai commencé à feuilleter cet ouvrage, c'est le très grand nombre de notes : trois-cent-quarante-et-un pour être exact. Cela fait en moyenne deux et demi par page. En soi, cela ne me dérange absolument pas mais si on regarde le texte de près, on voit qu'il est rempli de chiffres, d'italiques, de guillemets, de citations courtes ou longues, et aussi de quelques encadrés. On tombe un peu dans le name-dropping et cela nuit à la fluidité de lecture. J'ai quand même pu tout lire très rapidement. Rapidement et plutôt facilement, enfin la plupart du temps. Car lorsque l'auteur cite des passages ou des propos plus philosophiques, ça devient malheureusement plus confus. Ce qu'il y a de pertinent dans ce travail de journaliste c'est d'esquisser un portrait très large de cette grande nébuleuse du repli sur soi. Vincent Cocquebert le fait de manière plus impressionniste que structurée : par petites touches il nous parle d'objets, de loisirs, de mouvances politiques ou encore de films qui marquent une époque plus qu'une génération. Cette danse avec les tendances a eu beau me donner un peu le tournis, elle n'est pas exhaustive pour autant. J'ai été un peu surpris que la mancave ne soit pas citée. Un peu déçu aussi de ne lire aucun mot sur les caissons d'isolation sensorielle. Il faut dire que les exemples sont innombrables, en cela on peut parler de fait psychosocial total. 


C'est le premier livre que je lis sur le sujet et moi qui aime aller du général au particulier, je dois dire que cette approche multidisciplinaire me convient tout à fait. Il y a tout de même un domaine qui est mis en avant : la politique, notamment ce que les américains appellent identity politics. Quand on est universaliste et qu'on prône l'ouverture à autrui, il faut bien sûr critiquer cette tendance au repli identitaire. J'ai juste été un peu surpris qu'il en soit autant question car pour moi le cocon est plus lié à l'intime qu'au militantisme. Mais après tout, les valeurs elles aussi peuvent être qualifiées de "refuge"... 


Je m'attendais à ce que ce court essai traite surtout de fuite et finalement il parle beaucoup de lutte. Mais c'est vrai que tout est politique, même le repli sur soi. On peut peut-être essayer de dépasser ce dualisme comme ceci : on se bat pour ne plus avoir à se battre. Le combat est normal, vouloir qu'il cesse l'est tout autant. À condition de ne pas confondre paix civile, paix intérieure et paix de son intérieur.